"L’Internet des objets massif est désormais à portée de main technologiquement et commercialement"

[TRIBUNE de Svein-Egil Nielsen, NORDIC SEMICONDUCTOR] Faire dix fois plus avec dix fois moins, c’est de cette manière qu’il sera possible de sauver la planète, et c’est aussi grâce à cela que de nombreuses organisations commerciales publiques et privées vont pouvoir survivre. Comment ? Grâce à l’Internet des objets massif ou Massive IoT... et à deux technologies IoT sans fil complémentaires utilisant le standard de la 5G : l’IoT cellulaire et le DECT NR+. Explications de Svein-Egil Nielsen, Chief Technology Officer et vice-président exécutif de Nordic Semiconductor.

La seule raison pour laquelle l’Internet des objets (IoT) massif ne s’est pas encore développé, c’est parce que, jusqu’à aujourd’hui, le concept n’a pas été viable, tant sur le plan technologique que sur le plan commercial. Et ce alors que les avantages de l’IoT massif, que je définis comme "la capacité à faire dix fois plus avec dix fois moins tout en étant dix fois plus intelligent", ne sont absolument pas négligeables et ne peuvent pas être considérés comme de simples options "sympa" supplémentaires. Toute organisation privée ou publique dans le monde devra en effet en passer par ce "10 fois plus pour 10 fois moins" pour pouvoir survivre (et sauver la planète) dans les dix prochaines années.

Les gaspillages et inefficacités potentiellement évitables devront être relégués au rang de fragments d’un passé révolu, appartenant à l’ère du pré-IoT massif. Le problème, c’est, je le répète, qu’aucune voie vers l’IoT massif n’était viable auparavant… contrairement à aujourd’hui.

Entrée en scène de l'IoT massif

Partout dans le monde, des projets d’IoT massif sont testés et explorés dans de nombreux secteurs et domaines différents. Prenons l’exemple des réseaux de distribution d’électricité. Le passage à l'énergie verte et aux énergies renouvelables est vital pour la planète, mais c’est aussi un passage vers des sources d'électricité beaucoup moins fiables et contrôlables (pensez à l’énergie solaire, éolienne ou marémotrice) par rapport à (disons) une centrale électrique à l’ancienne, alimentée au charbon.

Pour continuer à produire de l’énergie, les compagnies d’électricité doivent s'adapter à un niveau de variabilité de leur réseau de distribution totalement impensable à une certaine époque. Pour y parvenir, il faut non seulement savoir quelle quantité d’énergie est utilisée par les clients, mais aussi savoir quelle quantité d’énergie les clients pourraient vouloir utiliser. Et ceci avec des talents de devin plus précis encore que ce que les clients peuvent envisager eux-mêmes. Le passage à l’énergie verte est en fait un passage vers l’IoT massif.

Et ce sera la même histoire dans des centaines d’autres industries et secteurs. L’IoT massif est en train de faire son entrée sur la scène, et il compte bien y rester. En réalité, il suffit de quelques entreprises et organisations qui réussissent à intégrer l’IoT massif à leurs opérations pour que les avantages du "10 fois plus pour 10 fois moins" apparaissent attractifs et que tous leurs concurrents et collègues du monde entier veuillent (voire soient carrément forcés à) immédiatement reproduire la combinaison gagnante.

Pour continuer avec notre exemple d’application précédent, il pourrait s’agir d’une société de distribution d'électricité avant-gardiste en Australie, par exemple, qui deviendrait la première à prouver au monde (développé et en développement) qu’il est possible de rendre la fourniture d'électricité verte vraiment fiable.

Qu’est-ce qui a empêché l’IoT massif de se développer jusqu’à maintenant ?

L’Internet des objets massif renvoie à toute installation de communication M2M (machine à machine) de quelques millions à plusieurs milliards de machines, de capteurs et d’objets connectés (voire un jour, sans doute, plusieurs milliards de milliards) pour des densités d’un million d’objets par kilomètre carré. Ces objets connectés sont compacts, souvent des produits alimentés par batterie avec une faible consommation, nécessitant peu de ressources de calcul et de mémoire, ce qui rend leurs exigences de connectivité à la fois problématiques et spécifiques.

À cette échelle, qui dit IoT massif dit inévitablement mégadonnées, ce qui nous amène évidemment dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) et des traitements en périphérie de réseau (edge computing). Bien qu’ils s’agissent là de concepts relativement nouveaux sur de nombreux marchés, je suis convaincu que cela ne constituera pas un obstacle s’ils sont intégrés correctement à des interfaces graphiques et des plateformes de gestion des appareils bien conçues.

Auparavant, l’obstacle majeur était le réseau de connectivité sans fil physique requis pour connecter les capteurs IoT et les appareils qui collectent les données IoT massives. Il y a eu plusieurs tentatives propriétaires remarquables dans ce domaine, pour lesquelles j’ai cependant du mal à voir un futur pérenne, car si une entreprise parie son futur sur une quelconque technologie, elle doit être sûre que cette technologie sera toujours utilisée dans plusieurs dizaines d’années. Pour ce faire, des normes sont nécessaires, ainsi que de larges écosystèmes à plusieurs fournisseurs.

Or, aucune entité, privée comme publique, ne veut investir des millions, voire des milliards de dollars dans une technologie fournie et garantie par un seul fournisseur. Car c’est évidemment très risqué, voire carrément imprudent. C’est pourquoi je crois que le futur de l’IoT massif est désormais entre les mains de deux technologies IoT sans fil complémentaires, utilisant le standard de la 5G, qui ont été créées depuis l’origine pour prendre en charge les réseaux IoT longue portée et basse consommation (LPWA) massifs : l’IoT cellulaire et le DECT NR+.

L’option de l’IoT cellulaire

L’IoT cellulaire est la version LPWA de la technologie sans fil cellulaire, destinée aux objets connectés. Depuis la 4G, et maintenant la 5G, il existe deux branches : le LTE-M (LTE for Machine-type Communications) et le NB-IoT (Narrowband IoT). Bien que longue à mettre en œuvre (elle était incluse dans la Release 13 de la norme relative aux technologies sans fil cellulaire de 3e génération publiée par le 3GPP, regroupant sept organismes de développement de normes pour les télécoms), cette version de l’IoT cellulaire optimisée au niveau consommation est désormais bel est bien arrivée. Elle offre une couverture géographique quasi totale et clé en main, et elle a été conçue pour évoluer avec l’IoT massif dès le départ.

Le LTE-M et le NB-IoT offrent la même fiabilité légendaire, ainsi que les mêmes avantages de sécurité, que le cellulaire dans le monde entier, cependant à des niveaux de consommation d’énergie sur les longues distances avec lesquels le cellulaire traditionnel ne peut rivaliser. Ces niveaux assurant par ailleurs un fonctionnement des appareils IoT sur plusieurs années, et ce à partir de batteries légères.

Quasiment n’importe quel appareil peut donc désormais être connecté sur les réseaux cellulaires du monde entier, sans besoin d’aucune passerelle. Dans le monde de l’IoT industriel, par exemple, cela offre la possibilité de surveiller absolument tout, depuis la localisation et le contenu des conteneurs de livraison et les actifs industriels essentiels, jusqu’au contrôle du bon fonctionnement des équipements d’une usine et à leur probabilité de panne (en surveillant les changements minimes dans les vibrations, par exemple).

Le point négatif de l’IoT cellulaire est que l’accès à un réseau mondial, omniprésent, sécurisé et fiable déjà existant n’est pas gratuit. En effet, la sécurité et la fiabilité viennent en grande partie de la certification que votre appareil a obtenue pour se connecter au réseau. Par ailleurs, les données que vous enverrez devront l’être via un opérateur établi. Tout ceci signifie des coûts et un certain degré de complexité. Cependant, les coûts et la complexité sont des paramètres qui ne peuvent que diminuer. Je pense donc que l’IoT cellulaire deviendra l’un des piliers de l’IoT massif dans le futur, là où la connectivité mondiale sera nécessaire.

L’option du DECT NR+

Tandis que la 4G fournissait une plateforme pour l’IoT cellulaire, la 5G est la première norme radio définie réellement avec l’IoT massif à l’esprit. Le DECT New Radio (NR)+ (à l’origine appelé DECT-2020 NR) est la première technologie sans fil non cellulaire au monde à devenir un standard 5G à part entière (d’après le document 5G IMT-2020 de l‘Union internationale des télécommunications).

Le DECT NR+ est une technologie sans fil entièrement nouvelle développée par le Forum DECT, un groupe qui se consacre au développement et à l’amélioration du DECT, qui signifie Digital Enhanced Cordless Telecommunications, pour refléter ses origines qui remontent au monde des téléphones DECT du début des années 1990.

Pour moi, le DECT NR+ comble le vide existant sur le marché des réseaux LPWA, vide que les alternatives propriétaires ont déjà tenté de combler auparavant. Plus précisément, si vous n’avez pas besoin d’un fonctionnement international et que vous avez uniquement besoin d’un fonctionnement au sein d’une zone géographique donnée, alors l’IoT d’entreprise et les clients publics peuvent désormais construire leur propres réseaux "privés" pour des données à bas coût.

Parmi les cas d’usage, on peut citer le suivi des actifs, les villes intelligentes et la distribution d'énergie intelligente. La fréquence de fonctionnement de 1,9 GHz du DECT NR+ dépend par ailleurs d’une attribution de spectre mondiale et sans licence (à l’exception actuellement du Japon, de l’Inde et de la Chine).

Le DECT NR+ constitue un standard radio unique, sécurisé et fiable tourné vers l’avenir et évolutif. De plus, parce qu’il ne nécessite pas de licence, le DECT NR+ n’entraîne pas de coût pour le transport des données, le rendant plus économique à faire fonctionner que ses équivalents avec licence. Grâce au DECT NR+, les utilisateurs peuvent déployer leurs propres réseaux privés, des réseaux privés qui utilisent certaines des technologies ayant déjà fait leurs preuves au sein de l'infrastructure cellulaire mondiale ultra sécurisée et très fiable.

De par tous ces avantages, cette technologie promet de démocratiser le sans-fil 5G en permettant les déploiements de l’IoT massif avec tous les avantages du cellulaire, mais à un coût bien inférieur.

Vers des réseaux IoT massifs omniprésents

En résumé, je prédis que d’ici dix ans, les déploiements de réseaux d’objets connectés avec au minimum plusieurs centaines de millions d’unités seront monnaie courante dans le monde entier. L’IoT massif sera incontournable pour un nombre incalculable d’applications sur des centaines, sinon des milliers de marchés dans les dix prochaines années. L’IoT massif va complètement transformer nos vies, notre travail et nos loisirs dans des proportions totalement inimaginables pour nous aujourd’hui. Ce faisant, le monde deviendra meilleur, plus sûr, plus vert, plus sain et, finalement, un meilleur endroit pour y vivre.