"Les opérateurs virtuels ont une agilité qui leur permet de répondre aux besoins spécifiques de l’IoT, quel que soit le domaine d’application"

Sur le marché fragmenté de l’IoT industriel où certains jettent déjà l’éponge, comme récemment Ericsson, l’agilité et la capacité des MVNO (Mobile Virtual Network Operator) à s’adapter à des situations très diverses est un atout. Comme en témoigne Jacques Bonifay, le président et cofondateur de l’opérateur virtuel français Transatel (filiale du groupe NTT) qui estime que dans ce domaine les opérateurs virtuels ont un rôle à jouer face aux opérateurs classiques.

La progression du marché de l’IoT est en partie liée aux offres des opérateurs, notamment dans la 5G pour le marché de l’industrie 4.0. Quel rôle joue un opérateur de réseau mobile virtuel (MVNO) comme Transatel dans ce paysage ? Qu’apporte un MVNO par rapport à un opérateur classique ?

JACQUES BONIFAY Pour mieux comprendre l’offre d’un opérateur virtuel, laissez-moi d’abord vous parler de cas concrets. Chez Airbus, par exemple, il s’agissait de mettre en place une connectivité cellulaire pour la maintenance prédictive à travers la remontée des données de vol lorsque l’avion atterrit. Dans cet exemple, un opérateur virtuel comme Transatel peut négocier avec tous les opérateurs classiques dans le monde entier et proposer à Airbus la meilleure qualité de services possible, quel que soit l’endroit où les roues de l’avion touchent le sol.

En d’autres termes, Airbus souhaitait avoir une vision sur le long terme et une indépendance par rapport aux opérateurs traditionnels, tout en gardant la possibilité de négocier, avec parfois des conditions tarifaires intéressantes. C’est ce qu’un opérateur virtuel comme Transatel peut fournir grâce à des tarifs que nous pouvons répercuter immédiatement sur notre plate-forme.

La liberté de travailler avec tous les opérateurs dans le monde et d’être indépendant vis-à-vis d’eux est ici une des forces des opérateurs virtuels. Autre exemple, chez un constructeur automobile, à savoir Fiat Chrysler Automobiles (désormais Stellantis), qui travaillait avec Vodafone et qui a choisi, depuis, Transatel, on comprend qu’il est difficile de changer des cartes SIM soudées embarquées dans les voitures lorsque l’on change d’opérateur traditionnel dans un pays. Alors qu’il s’agit d’une opération très facile pour un opérateur virtuel qui dispose de son propre cœur de réseau.

Aujourd’hui nous gérons quelque 150 000 cartes SIM en France et en une nuit nous sommes capables de basculer d’un opérateur à un autre pour tout ou partie de ces cartes. Autre atout des opérateurs virtuels, la sécurité des donnés. Par exemple dans le cas d’Airbus, Transatel installe ses routeurs sur chaque continent pour s’assurer que les données de vols arrivent plus rapidement dans le cloud, avec un niveau de sécurité calibré sur mesure en fonction des besoins de l’avionneur. Là aussi, c’est la force d’un opérateur virtuel que l’on peut voir finalement comme un opérateur mondial et qui a la capacité de faire preuve d’agilité.

Sur quoi repose justement cette agilité d’un opérateur virtuel ?

JACQUES BONIFAY Transatel a investi dans un cœur de réseau dans lequel sont insérés les services et les fonctionnalités que nous développons et qui ne sont pas disponibles chez les opérateurs. L’innovation est à ce niveau.

Exemple : Jaguar Land Rover voulait facturer les utilisateurs de leurs véhicules en fonction de l’usage. De fait il existe trois types de services dans la voiture : ceux liés à la télématique (le constructeur reste en contact avec la voiture pour sa maintenance), ceux liés au téléchargement de code pour la mise à jour des logiciels embarqués, et ceux liés à tout ce qui a trait à l’infodivertissement (multimédia, Internet, Wi-Fi à bord…). Ici, la possibilité de facturer en même temps un constructeur automobile, un tiers comme un assureur et des particuliers est un facteur de différentiation net par rapport à un opérateur classique.

Dans le cas de Jaguar Land Rover, c’est donc Transatel qui a la responsabilité de ces facturations, y compris au niveau juridique pour tout le territoire européen. Transatel a une offre pour les particuliers et une pour le domaine de l’IoT.

Quelle est la répartition de ces activités dans votre chiffre d’affaires ?

JACQUES BONIFAY Transatel réalise un chiffre d’affaires d’environ 50 millions d’euros, réalisé dans le monde entier pour un effectif de 250 collaborateurs. L’activité se décompose selon deux volets. L’activité historique de Transatel qui, en tant que MVNO, apporte clé en main une architecture complète à ceux qui veulent devenir des opérateurs mobiles, et puis la partie IoT qui porte essentiellement sur le trafic de donnés, avec des clients comme Stellantis, Worldline ou Airbus comme je l’ai indiqué précédemment. La première activité correspond à un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros et la seconde à 20 millions d’euros.

Sur la première activité, Transatel gère une centaine de MVNO en Europe, le premier marché étant le marché britannique, le second étant la France et le troisième la Belgique. La partie téléphonie classique affiche une croissance de 5 à 10% par an, tandis que l’IoT, c’est-à-dire le trafic de données, offre une croissance très forte, de 30 à 100%, mais avec une rentabilité plus faible pour le moment en raison des forts investissements que cette activité réclame, notamment au niveau des plateformes.

L’itinérance internationale est un critère qui s’avère essentiel pour soutenir la croissance des réseaux NB-IoT et LTE-M. Mais jusqu’ici le manque d’accords d’itinérance entre opérateurs semble avoir entravé la croissance des technologies LPWAN cellulaires dans le monde (hors la Chine). Comment se positionne un MVNO comme Transatel vis-à-vis de ce problème d’itinérance ?

JACQUES BONIFAY L’itinérance pour un opérateur virtuel comme nous n’est pas un problème, c’est une solution technique. L’itinérance, c’est un cadre réglementaire couplé à une architecture technique. Or chez Transatel, c’est l’un de nos savoir-faire, car nous connaissons très bien ces aspects réglementaires et nous signons des accords avec des opérateurs dans le monde entier. Accords qui englobent la nature de la connectivité, le niveau de prix du mégabit, le marché ciblé, etc. A ce niveau, nous avons actuellement des accords de connectivité avec 230 opérateurs dans le monde, car in fine notre métier est de négocier avec ces opérateurs des accords de connectivité et donc, l’itinérance n’est pas un problème pour nous.

Personnellement, en tant que président d’Alternative Telecom et de MVNO Europe, associations qui défendent le rôle des opérateurs alternatifs en France et en Europe, Transatel est au cœur de ces problématiques de “compliance” réglementaire et nous avons de ce fait une connaissance fine de ces évolutions juridiques et réglementaires en Europe et dans le monde, ce qui renforce notre légitimité sur ce marché.

Que pensez-vous de l’arrivée de la 5G pour l’IoT industriel ? Et comment se place Transatel par rapport à cette technologie ?

JACQUES BONIFAY Pour un MVNO, les opérateurs sont à la fois nos plus gros fournisseurs et nos plus gros concurrents. Il faut donc un régulateur fort pour que cet équilibre fonctionne. Dans le cadre de la 5G, un opérateur doit donner l’accès à cette technologie aux opérateurs virtuels. Parfois, les opérateurs nous voient comme un concurrent actif qui délivre trop de valeurs au client, car les MVNO sont plus rapides, plus innovants et plus agiles pour mettre en place de nouvelles solutions adaptées à un secteur d’activité spécifique. Comme par exemple l’agriculture où, en utilisant des bornes fixes à 800 MHz et en autorisant le support de la 5G, il sera possible d’aller vers ce marché. A ce niveau, j’estime qu’un MVNO comme Transatel est mieux placé et plus innovant qu’un opérateur classique.

L’arrivée de la 5G va-t-elle modifier le modèle de développement d’un MVNO, en se fondant non plus sur l’achat de mégabits mais sur la facturation de services ?

JACQUES BONIFAY Aujourd’hui, le mode le plus évolué de facturation est l’achat de mégabits en fonction de l’usage d’une carte SIM et de sa consommation. C’est un calcul du prix sophistiqué, mais qui fonctionne. Avec l’évolution vers la 5G notamment par le biais de la technologie du slicing, découpage du réseau 5G qui autorise le multiplexage de réseaux logiques virtualisés et indépendants sur une même infrastructure de réseau physique, on n’achète plus des mégabits, mais des niveaux de services et de la bande passante.

Pour le moment seul le Japon sait le faire déjà dans la 4G, mais de manière globale les opérateurs ne sont pas encore mûrs sur cette question. Reste que cette approche va se développer. Par exemple, dans le monitoring de malades, on pourra vendre un ensemble de services dans lequel la partie connectivité ne va représenter que 5 à 10% du prix.

Mais cela implique que l’opérateur doit mettre en place des règles de facturation complexes, et on n’en est qu’au début car cela implique pour les opérateurs de passer à un mode de commercialisation vertical lié à des domaines d’application spécifiques.

Pour l’instant, il faut être lucide, la 5G actuelle c’est en fait de la 4G plus rapide. Il faut passer à la 5G dite "standalone", c’est-à-dire qui fonctionne sans s'appuyer sur l'infrastructure 4G existante, avec la maîtrise de la technologie du slicing, pour mettre à disposition des utilisateurs différents degrés de services. Que ce soit au niveau de la latence, de la bande passante, de la consommation des équipements connectés ou de la densité des objets connectés, avec à la clé une notion d’abonnement. Pour le moment la structuration de ce type de grille tarifaire est très complexe, et les opérateurs n’en sont pas encore là.

Dans ce paysage, Transatel reste sur un modèle horizontal, au niveau mondial, avec la capacité de délivrer une connectivité identique et transparente aux utilisateurs avec une même interface que l’on soit au Japon, aux Etats-Unis ou en Europe. C’est le positionnement de Transatel pour lequel il n’y pas beaucoup d’acteurs capables de réaliser cette fonctionnalité.

Propos recueillis par François Gauthier