"Wind River est redevenu l’éditeur indépendant de logiciels embarqués le plus important du marché"

Michel-Génard

La reprise fin juin de Wind River par le fonds d’investissement TPG devrait permettre à l’éditeur de procéder à des opérations de croissance externe et de renforcer sa stratégie en faveur du « fluid computing » qui consiste à apporter les briques logicielles permettant d’orchestrer les charges de travail entre le nuage, la périphérie de réseau (l’edge) et les équipements embarqués proprement dits. Explications de Michel Génard, vice-président et directeur général en charge des activités de Wind River liées aux environnements d’exécution hors télécoms et réseaux... 

En avril dernier, Wind River annonçait sa reprise par le fonds d’investissement TPG après huit ans passés dans le giron d’Intel. Qu’est-ce que cela change pour Wind River ?
MICHEL GENARD Le premier impact de cette transaction qui a été définitivement entérinée fin juin a été immédiat. Wind River, avec son effectif de plus d’un millier de personnes, peut à nouveau se définir comme l’éditeur indépendant de logiciels embarqués le plus important du marché. Cela dit, le rachat de Wind River par le fonds d’investissement TPG ne change en rien notre stratégie qui est d’apporter les briques logicielles permettant d’orchestrer les charges de travail entre le nuage, la périphérie de réseau (l’edge) et les équipements proprement dits, l’idée étant de créer une topologie où l’application doit s’exécuter là où les ressources sont les mieux adaptées. C’est ce que l’on appelle le « fluid computing ». Et cette évolution gagne ou va gagner les quatre secteurs sur lesquels Wind River est présent : les télécoms et réseaux, l’automobile (et, plus précisément, la voiture connectée), l’industriel, le médical et la robotique, et enfin l’aérospatial et la Défense. En fait le plus gros changement que nous avons enregistré concerne l’écosystème des fabricants de semi-conducteurs qui, inconsciemment ou non, n’appréciait pas notre appartenance au groupe Intel. C’était en particulier une perception de l’écosystème Arm et cela a vraiment changé le jour où Wind River s’est séparé d’Intel.
 
TPG, en tant que fonds d’investissement, pourrait-il influencer la stratégie de Wind River ?
MICHEL GENARD Ce n’est pas TPG qui va gérer Wind River. Par contre, en tant que société gérant un portefeuille de 250 milliards de dollars, TPG a les moyens de soutenir la croissance de notre société, notamment en favorisant des opérations d’acquisition externes. Ce que Wind River a relativement peu fait sous l’ère Intel, à l’exception de deux ou trois rachats d’entreprises comme Virtutech, à l’origine du simulateur Simics, ou Arynga, un spécialiste des logiciels de mises à jour OTA pour l’automobile, et de l’acquisition de certains actifs de Nortel Networks qui ont été injectés dans notre environnement d’infrastructure télécoms et réseaux définie par logiciel Wind River Titanium Cloud. S’il est encore trop tôt pour préciser les intentions de Wind River en la matière, nos cibles d’acquisition potentielles sont des sociétés disposant d’une offre qui nous permettra de déployer une infrastructure apte à répondre à des cas d’usage et à offrir de la valeur ajoutée en matière de virtualisation, de qualité de service, etc.
 
Vous évoquiez précédemment l’edge computing. Or cette technologie intéresse aussi les grands éditeurs du cloud comme Amazon, Google ou VMware sans parler de Microsoft. Sont-ce des concurrents potentiels pour Wind River ?
MICHEL GENARD L’edge computing est aujourd’hui le point de convergence des technologies opérationnelles (OT) et des technologies de l’information (IT). Le fait que les grands éditeurs que vous citez s’y intéressent est une bonne nouvelle – le marché est là – et montre que la « fluidité » entre edge et cloud dont je parlais tout à l’heure est en train de se concrétiser. Le phénomène est amplifié par l’arrivée de la 5G qui va apporter en bordure de réseau une bande passante quasi illimitée et un délai de latence quasi nul.
Plus que Wind River, ce sont nos clients qui sont bouleversés par l’arrivée d’acteurs qui fournissent une offre à travers des services et non plus à travers des produits à l’instar, dans d’autres domaines, d’Uber qui vend du service de transport sans voitures ou d’Airbnb qui vend du service d’hôtellerie sans hôtels… Dans ce phénomène de convergence entre OT et IT, Wind River amène les notions de l’embarqué, un milieu dans lequel nous évoluons depuis plusieurs dizaines d’années avec notre système d'exploitation temps réel VxWorks. C’est dans cette description que nous nous définissons et nous apportons les caractéristiques qui nous ont fait connaître, c’est-à-dire le temps réel, la faible latence, l’empreinte réduite, etc. Des caractéristiques qui avaient été un peu rejetées dans les coulisses il y a une dizaine d’années avec l’augmentation faramineuse des performances matérielles, mais qui reviennent aujourd’hui au premier plan avec l’edge computing. Il suffit de citer la voiture autonome pour s’en convaincre.
 
Quelle est la proposition de valeur que peut offrir Wind River dans le domaine de l’edge computing, au-delà des caractéristiques que vous venez d'évoquer ?  
MICHEL GENARD Nous allons aussi tirer parti des enseignements que nous avons retirés du marché des télécoms et réseaux avec notre plate-forme logicielle Titanium Cloud qui offre un haut niveau d’abstraction dans la manipulation de machines virtuelles et de gestion de la qualité de service. Dans ce cadre, le premier marché réellement « embedded » en ligne de mire est celui de l’industriel où la tendance est à virtualiser les équipements et à les agréger sur un même boîtier. Cette idée, qui est partagée par de grands groupes comme Kuka, Schneider Electric ou ABB, est d’implanter sur site une infrastructure en nuage locale, capable de virtualiser la plupart des systèmes physiques industriels (automates programmables, systèmes Scada, robots, etc.), le tout sur des architectures matérielles banalisées. C’est précisément l’objectif que nous poursuivons avec la plate-forme Titanium Control que nous avons lancée officiellement lors d’Embedded World 2017 et qui tire profit de toutes les potentialités offertes par les architectures de processeur multicœurs.
Certes il n’y a pas encore de déploiements réels de cette plate-forme mais il en existe des projets pilotes un peu partout dans le monde, dont l’un notamment avec ExxonMobil. Ne manque plus qu’un accélérateur de déploiement ; celui-ci pourra venir peut-être de la concurrence comme cela a été le cas dans le domaine des télécoms et réseaux avec un modèle économique qui a basculé avec l’arrivée des équipementiers chinois.
Quoi qu’il en soit, nous ne partons pas seul dans la bataille et nous construisons un écosystème autour de notre offre, composé à la fois de fabricants de matériels comme Dell et HPE, de spécialistes de l’orchestration logicielle et d’intégrateurs, ces derniers étant critiques sur le marché de l’industriel. Après, pourquoi est-ce qu’une plate-forme comme Titanium ne pourrait pas être déclinée pour un avion, une voiture ? C’est juste une question d’acceptation des marchés…
 
Quels sont les marchés les plus porteurs pour Wind River aujourd’hui ?
MICHEL GENARD Le marché des télécoms et réseaux reste de prime importance car les opérateurs redeviennent prescripteurs. L’industriel est aussi une cible privilégiée avec la tendance actuelle vers la virtualisation, tout comme l’automobile fortement focalisée sur la qualité logicielle. Enfin les secteurs plus traditionnels de l’avionique, avec les commandes en forte progression venant des compagnies low-cost et de l’Asie, et de la Défense, avec des budgets en augmentation, restent au cœur des attentions de Wind River.

Propos recueillis par Pierrick Arlot