F. Sforza, Semtech : "En matière de réseaux dédiés M2M et IoT, la France est en avance de phase"

[SPECIAL ABONNES] Le Mobile World Congress qui s’est tenu en mars à Barcelone a marqué les premiers pas officiels de l’alliance LoRa, du nom de la technologie pour réseaux radio longue portée et basse consommation (LPWAN) éponyme qui cible les marchés du M2M et de l’Internet des objets et à laquelle commencent à s’intéresser les grands opérateurs mobiles, Bouygues Telecom en tête. Rencontre avec François Sforza, cofondateur des sociétés NanoScale Labs et Cycleo qui ont développé et promu LoRa, et directeur en charge des produits Wireless & IoT chez Semtech. ...

Quelles sont les principales caractéristiques qui font de la technologie LoRa une solution bien adaptée aux réseaux radio dédiés M2M et IoT ? FRANÇOIS SFORZA LoRa, qui a fait l’objet de plusieurs brevets, a été conçu par Nicolas Sornin et Olivier Seller dans la deuxième moitié des années 2000. Cette technologie de communication radio totalement asynchrone repose sur un procédé de transmission par étalement de spectre. Elle peut être utilisée aussi bien dans la bande 2,4-2,5 GHz que dans les bandes situées sous le gigahertz entre 169 MHz et 950 MHz, dans des liaisons pont-à-point ou dans des configurations réseau en étoile. Parmi ses points forts, on peut citer une extrême sensibilité en réception qui garantit des bilans de liaison de plus de 20 dB supérieurs à ceux affichés par les technologies standard, une très faible consommation adaptée à une utilisation dans des objets fonctionnant sur piles et dotés d’une autonomie de plusieurs années, et une échelonnabilité qui permet de faire évoluer aisément un réseau LoRa pour l’adapter à un nombre toujours plus grand d’objets connectés. La technologie LoRa possède aussi d’autres avantages par rapport à certaines approches LPWAN concurrentes comme la bidirectionnalité, qui autorise par exemple des opérations en mode broadcast particulièrement utiles dans des applications d’effacement énergétique, le mode adaptatif ADR (Adaptive Data Rate) qui permet d’ajuster la vitesse de transmission ou la puissance d’émission en fonction de l’éloignement de l’objet par rapport à la station de base, ou bien encore la mobilité – grâce à son insensibilité à l’effet Doppler. La technologie LoRa se distingue aussi par une sécurité intégrée au sein du protocole, par des capacités de géolocalisation indoor et outdoor via la triangulation, ainsi que par une facture matérielle et un encombrement réduits au niveau de l’objet connecté du fait que peu de composants externes sont requis.   La technologie a-t-elle fait aujourd'hui ses preuves sur le terrain ? FRANÇOIS SFORZA En fait, cela fait plus de deux ans qu’il existe des réseaux LoRa opérationnels. C’est en 2009, année de la création de la société Cycleo - acquise en 2012 par Semtech - que nous avons décidé de focaliser nos efforts sur les besoins des applications industrielles et notamment des applications de compteurs d’énergie communicants. Très vite l’entreprise Veolia nous a fait confiance et a été convaincue que LoRa pouvait générer une économie d’au moins 20%, tant sur les coûts de déploiement que sur les coûts opérationnels. C’est donc dans le cadre d’un réseau de communication privé, géré par Veolia donc, que nous avons pu déployer en grandeur nature une infrastructure radio avec plusieurs millions d’objets connectés (des compteurs d’eau en l’occurrence) et des contraintes particulièrement sévères. Certains compteurs sont en effet situés à une profondeur de 1,80 mètre dans le sol sous des plaques métalliques et ils doivent afficher une autonomie de dix ans ! Notre prochaine étape va consister à passer de quelques millions d’objets compatibles LoRa à plusieurs centaines de millions…  

François Sforza, directeur produits Wireless & IoT chez Semtech, et Nicolas Sornin, co-inventeur de la technologie LoRa et directeur technique en charge des plates-formes IoT de Semtech

Comment comptez-vous réussir à passer ce cap fatidique ?
FRANÇOIS SFORZA Cela va se faire grâce à l’arrivée d’opérateurs institutionnels. On peut même envisager que certaines applications M2M actuellement portées par des réseaux privés migreront vers des réseaux publics gérés par des opérateurs mobiles. Ceux-ci étant partagés, les coûts opérationnels par application devraient effectivement s’en trouver réduits… Les opérateurs mobiles ont l’avantage de maîtriser les points hauts, là où doivent être positionnées les passerelles LoRa pour une couverture optimale, et de savoir déjà gérer des applications M2M à très grand nombre d’objets. Mais il y a des pans d’applications qui ne sont pas adressés aujourd’hui par les solutions M2M 2G/3G/4G du fait de leur consommation et de la taille des circuits de communication. C’est là où la technologie LoRa devient intéressante pour les opérateurs car nous, nous sommes focalisés sur les objets connectés aux fortes contraintes énergétiques. Bouygues Télécom ne dit pas autre chose lorsque l’opérateur indique que LoRa répond parfaitement aux besoins des capteurs fonctionnant sur pile et aux applications à basse consommation et qu’elle est à cet égard un complément à la connectivité M2M cellulaire.   Concrètement, où en sont les opérateurs mobiles vis-à-vis de la technologie LoRa ? FRANÇOIS SFORZA Le besoin étant identique pour tous ces opérateurs, opérateurs et industriels ont décidé de créer une alliance garante de l’interopérabilité. Une interopérabilité qui doit assurer qu’un fabricant d’objet, de capteur ou d’équipement connecté compatible LoRa puisse commercialiser son produit partout et qu’il fonctionnera avec n’importe quelle passerelle. D’où la création de l’alliance LoRa en début d’année, déjà soutenue par des opérateurs comme FastNet, KPN, SingTel, Proximus, TelkomSel, Swisscom ou Bouygues Telecom. Ce dernier vient d’ailleurs d’annoncer qu’il ouvrira en juin 2015 le premier réseau français LoRa et qu’il envisage de nouvelles applications M2M dans tous les secteurs, notamment la connexion d’objets tels que capteurs pour l’agriculture, distributeurs d’eau, produits logistiques… Avant de procéder à des annonces, les opérateurs mobiles se sont assuré que les services M2M basés sur LoRa soient au moins du même niveau de qualité de service que ceux qu’ils offrent aujourd’hui en 3G ou en 4G. Par ailleurs, des tests de cohabitation LoRa et 3G/4G ont été réalisés avec succès dans différents pays tout au long de l’année 2014. Les feux sont donc tous passés au vert sachant que les opérateurs, grâce à la technologie LoRa, seront en mesure de faire face rapidement à une explosion de nombre d’objets connectés. Grâce notamment au mode ADR, un doublement du nombre de passerelles permet en fait de multiplier par huit la capacité d’un réseau.   Quel est le rôle exact de l’alliance LoRa ? FRANÇOIS SFORZA L’alliance LoRa est en charge du protocole LoRaWAN qui doit garantir l’interopérabilité. Ce protocole est aujourd’hui ouvert et n’est donc pas sujet au paiement de redevances. Dans ce cadre, différents modes d’utilisation ont également été définis et un certain nombre de paramètres ont été stipulés pour les réseaux LoRa, comme la topologie en étoile avec une forte pénétration indoor, la consommation en émission et réception, la capacité à fonctionner avec une alimentation sur piles bâtons ou boutons, etc. Au-delà des opérateurs, on trouve aujourd’hui dans l’alliance des spécialistes de semi-conducteurs comme Semtech ou Microchip (mais d’autres fabricants devraient prochainement rallier l’organisation), des fournisseurs de passerelles, comme le français Kerlink ou les américains Cisco et Multi-Tech, et des éditeurs d’offres logicielles de bout en bout (de la passerelle jusqu’au cloud) comme IBM, Actility ou OrbiWise. Je tiens à préciser – et nous sommes assez fiers de cela – que la technologie LoRa, créée en France, offre des opportunités de marché à un certain nombre d’industriels hexagonaux comme Eolane, Sagemcom ou Schneider Electric, mais aussi à des PME et à des start-up à l’instar d’Actility, d’Abeeway, de MyFox, de Sensing Labs ou de Wi6labs. Il faut le dire : en matière de réseaux LPWAN, la France est en avance de phase.   L’organisme de normalisation 3GPP travaille actuellement sur le LTE-M, une adaptation de la technologie mobile LTE conçue pour satisfaire les contraintes de l’Internet des objets, notamment en termes de consommation. Qu’en pensez-vous ? FRANÇOIS SFORZA Un rapport a récemment démontré que les solutions comme le LTE-M, qui est une version « dégradée » du LTE et qui est prévu par le 3GPP vers la fin 2016 ou le début 2017, ne peuvent satisfaire qu’au maximum 10% des applications de l’Internet des objets. La technologie LoRa, elle, a été conçue dès le départ pour les besoins des capteurs et n’a donc aucune difficulté à répondre aux contraintes des objets connectés. Suite à la demande de certains gros opérateurs, nous avons d’ailleurs très récemment effectué une contribution au 3GPP pour que LoRa intègre une future Release des spécifications 3GPP !   Propos recueillis par Pierrick Arlot