La photonique sur silicium attend l'étincelle qui va faire décoller le marché

[SPECIAL ABONNES] Selon Yole Développement, les centres de données tout optiques que comptent mettre en place Google ou Facebook vont déclencher la forte progression du marché des composants photoniques sur silicium à partir de 2018. La photonique sur silicium pourrait par la suite se glisser au sein d’équipements de télécommunication, de capteurs, de systèmes médicaux ou de produits d’électronique grand public. ...

Le marché des composants photoniques sur silicium, qui décolle à peine, n’est plus qu’à quelques encablures d’une réelle production de volume. Tel est du moins l’avis de la société d’études Yole Développement qui voit ce marché progresser d’environ 38% par an en moyenne et dépasser la barre des 700 millions de dollars en 2024. Contre 25 millions de dollars seulement en 2013. La photonique sur silicium, peut-être est-il bon de le rappeler, vise à intégrer des fonctions photoniques (réception optique, modulation, amplification, etc.) avec des circuits électroniques à l’échelle d’une plaquette de silicium (wafer), l’objectif étant de tirer profit des techniques de fabrication collective de l'industrie électronique, à volume élevé et à faible coût, pour produire des circuits photoniques intégrés. A ce titre, elle combine plusieurs domaines de compétence comme l’optique, la technologie Cmos, les Mems et les procédés d’empilage 3D.   A long terme, les composants photoniques sur silicium ont toutes les chances de se glisser au sein d’équipements de télécommunication (notamment au niveau des fonds de panier), de capteurs, de systèmes médicaux ou de produits d’électronique grand public. Mais aujourd’hui ce sont le calcul à hautes performances (HPC) et les centres de données qui s’y intéressent de très près. « A court terme, la photonique sur silicium constituera la plate-forme de choix des futurs centres de données de forte puissance et à bande passante élevée », note ainsi Éric Mounier, analyste Marché et Technologie senior chez Yole et coauteur avec Claire Troadec du rapport intitulé Si Photonics 2014.   Premier marché : les câbles optiques actifs   Les premiers produits disponibles qui soient réellement basés sur des composants photoniques sur silicium sont d’ailleurs des câbles optiques actifs émetteurs et récepteurs à 10, 40 voire 100 Gbit/s pour liaisons entre serveurs dans les centres de données. Là où ils viennent avantageusement remplacer du câblage en cuivre trop cher, trop lourd et, surtout, générateur de chaleur… alors que le refroidissement reste le gros problème des grands data centers. Sur ce créneau particulier, les acteurs se comptent encore sur les doigts d’une seule main. « Mellanox est le pionner du marché avec une offre qui existe depuis quatre ou cinq ans et cette société a mis la main en 2013 sur l’américain Kotura, un spécialiste justement de la photonique sur silicium, rappelle Eric Mounier. Autre acteur important sur le secteur, Molex a pu se positionner sur l’arène des câbles optiques actifs avec l’acquisition en 2011 de Luxtera. »     C’est toutefois l’émergence des centres de données tout optiques que comptent mettre en place Google ou Facebook qui va déclencher la forte progression du marché à partir de 2018, assure Yole. Les deux poids lourds de l’Internet travaillent d’ailleurs déjà assidûment, soit en interne, soit dans le cadre de collaborations, à rapprocher l’optique « au plus près de la puce » afin d’utiliser la photonique sur silicium non plus seulement entre serveurs, mais également entre cartes, voire entre circuits intégrés. Des poids lourds comme Cisco, HP, IBM, Intel, STMicroelectronics ou NTT planchent aussi sur la question à l’instar de laboratoires publics européens comme le CEA-Leti en France, l’Imec en Belgique ou l’institut Tyndall en Irlande, rappelle la société d’études.   Des défis technologiques à relever   Reste que de nombreux verrous technologiques existent encore et freinent l’arrivée en production de masse de composants photoniques sur silicium. « La maîtrise de la photonique sur silicium nécessite de relever encore un certain nombre de défis en termes de packaging, d’alignement optique et d’intégration électronique », détaille à ce propos Claire Troadec. Ce qui représente aussi une opportunité pour des acteurs comme les sociétés de test et d’assemblage externalisés (OSAT), les spécialistes des Mems et les fabricants de semi-conducteurs. « L’intégration des sources lumineuses constitue déjà un challenge car il n’est pas possible aujourd’hui de réaliser cette fonction sur un substrat silicium, ajoute Claire Troadec. Pour la réalisation d’un composant photonique à multiples fonctionnalités, il faut donc se rabattre sur une solution hybride qui associe deux types de matériaux, le silicium d’un côté et le phosphore d’indium (InP) de l’autre. Des approches intéressantes avec collage de deux substrats différents puis post-traitement sont en cours de développement notamment au CEA-Leti. »     Des recherches sont également menées sur l’intégration des semi-conducteurs « traditionnels » avec les composants photoniques sur silicium avec, là encore, une tendance à s’orienter vers des approches hybrides du fait que les dimensions critiques des deux domaines sont relativement différentes : nanométriques dans le cas de l’électronique, micrométriques dans le cas de l’optique. Matériaux et caractéristiques des guides d’onde optiques permettant la propagation de la lumière sur la plaquette de silicium figurent aussi au menu des chercheurs. Des recherches qui s’accompagnent de l’arrivée encore timide d’outils de conception dédiés à la photonique sur silicium. Parmi les pionniers de ce secteur émergent, Yole cite notamment des sociétés comme le britannique Photon Design, l’espagnol VLC Photonics ou le néerlandais Effect Photonics. On peut ajouter à cette liste Luceda Photonics, créé en juin 2014 par des chercheurs de l’université de Gand (Ugent), de l’Imec et de la Vrije Universiteit Brussel (VUB, Université libre néerlandophone de Bruxelles) qui, à eux tous, assurent cumuler 50 années d’expérience dans le conception de circuits photoniques sur silicium. De son côté, Synopsys, l’un des poids lourds de la CAO électronique, n’est pas en reste. En septembre dernier, l’Américain a annoncé la disponibilité de l’outil RSoft OptSim Circuit, extension de son offre pour la modélisation de systèmes à fibre optique adaptée, selon ses dires, à la modélisation de circuits photoniques…   Enfin, les retombées du projet ePIXfab, qui vise à soutenir l’émergence d’un écosystème fabless de la photonique sur silicium en Europe, sont également scrutées avec attention, indique Yole. Le projet réunit le CEA-Leti, l’Imec, le finlandais VTT, l’allemand IHP, l’institut Tyndall, le néerlandais TNO et le canadien CMC Microsystems.