De jeunes sociétés françaises commencent à tricoter du textile intelligent

[SPECIAL ABONNES] Dans l'Hexagone, plusieurs entreprises de création récente, à l'instar du lyonnais Cityzen Sciences, planchent sur diverses déclinaisons du textile "intelligent", une appellation qui englobe les vêtements connectés. L'enjeu est de taille. Le marché ciblé est estimé à 1,5 milliard de dollars dès 2015 ! ...

Pourra-t-on d’ici deux ou trois ans toucher du doigt des textiles dotés de propriétés photovoltaïques et capables de rendre autonomes en énergie des vêtements connectés ou d’alimenter en électricité des dispositifs embarqués sur la personne ? Peut-être. C’est en tout cas l’un des objectifs du projet franco-français Soltex, lancé officiellement en février 2014. Placé sous l’égide de Sunpartner Technologies, société créée en 2008 et inventeur du procédé Wysips qui permet de transformer n’importe quel support en surface autoproductrice d’électricité d’origine lumineuse, ce projet s’est donné deux objectifs principaux : inventer un fil photovoltaïque et l’adapter au processus de tissage et de tricotage pour produire un textile générateur d’énergie à partir de la lumière, solaire ou artificielle. Pour ce faire, les moyens financiers ne manquent pas. Le programme de recherche Soltex représente un investissement global de 15,5 millions d'euros, financé par les partis prenantes et aidé à hauteur de 45% par Bpifrance, la banque publique d’investissement.   L'un des 34 plans d'avenir de la Nouvelle France industrielle   Il faut dire que le projet, lancé pour une durée de cinq ans, s’inscrit dans un cadre favorable à l’émergence dans l’Hexagone d’une industrie des textiles techniques et intelligents. Ce sujet constitue de fait l’un des trente-quatre plans d’avenir de la Nouvelle France industrielle chère à Arnaud Montebourg. Et il n’est donc guère étonnant de voir s’activer sur le sujet de jeunes pousses françaises.   Le projet le plus emblématique en la matière est ainsi à mettre au crédit de la société lyonnaise Cityzen Sciences, créée, elle aussi, en 2008 et spécialisée dans la conception, la création et le développement de textiles « connectés ». Par textiles connectés, il faut entendre ici des textiles dotés de microcapteurs intégrés chargés de surveiller des paramètres tels que la température, la fréquence cardiaque, la vitesse et l’accélération d’un individu, tout en le géolocalisant. Pour un coût total de 17,7 millions d’euros, financé à hauteur de 7,2 millions d’euros par Bpifrance, le projet Smart Sensing a été lancé officiellement fin 2012 dans le but de développer une nouvelle génération de vêtements intelligents et communicants, destinés dans un premier temps au monde sportif professionnel et grand public.   Equipés de capteurs et d’un boîtier-passerelle de petite taille portée entre les omoplates, élément central du système, ces vêtements pourront communiquer par une liaison sans fil avec un smartphone et indiquer en temps réel le rythme cardiaque, la position GPS, la vitesse, les accélérations et le niveau de fatigue du sportif. L’idée est de remplacer les ceintures cardiofréquencemètres, les montres GPS ou  encore les bracelets connectés par un support de surveillance unique et non intrusif : le textile. A noter que si Bluetooth est la technologie radio retenue par Cityzen Sciences dans le cadre d'applications grand public, des procédés de communication à plus longue distance seront privilégiés pour le domaine du sport pofessionnel.   Un prototype de d-shirt dévoilé lors du CES 2014   Une première étape du projet a été franchie en début d’année lors du CES 2014 avec la présentation par Cityzen Sciences d’un prototype de t-shirt connecté du nom de d-shirt (d pour digital). Un prototype jugé suffisamment probant pour que la société se voie remettre le Prix de l’innovation pour la santé au quotidien à cette occasion. Fort du soutien de ses partenaires du projet Smart Sensing (Télécom Bretagne, la société de services en électronique Eolane, le spécialiste des fils et tissus élastiques Payen, le groupe Cyclelab, le CEA-Leti), le Français va désormais tout mettre en œuvre pour que soient lancés commercialement courant 2014 de premiers vêtements connectés du type seconde peau, cuissard vélo, t-shirt ou short. Le Lyonnais, qui se veut non un vendeur de textile mais un "spécialiste de l’intégration d’intelligence embarquée dans tous types de tissus", a pu bénéficier à cet égard de retours d’équipes sportives professionnelles comme l’AS Saint-Etienne, le Stade toulousain, l’Asvel de Villeurbanne ou l’équipe de basket Pays d’Aix. « Nous sommes en train de révolutionner le processus d’innovation pour les marques, s’enthousiasme Jean-Luc Errant, le fondateur et dirigeant de Cityzen Sciences qui a reçu en avril le Prix de l’objet connecté 2014. Il ne s’agit pas seulement de rendre le textile intelligent, mais bien de changer en profondeur la  façon de créer de la valeur pour leurs clients. Nous ne créons pas un textile. Nous créons l’iPhone du vêtement. »   De façon plus prosaïque, Cityzen Sciences prévoit à l’horizon 2016 d’intégrer les capteurs directement au niveau du fil, alors qu’ils sont aujourd’hui miniaturisés pour être intégrés entre deux couches de textile. Le Français prévoit aussi le développement d’un circuit intégré de type SoC ou Asic pour diminuer encore la taille et les coûts de la passerelle. En partenariat avec l’université japonaise de Nagano, les équipes de Cityzen Sciences travaillent également sur la récupération de l’énergie ambiante (energy harvesting).   Des textriles photovoltaïques fonctionnels en 2016   Le programme de recherche Soltex travaillant justement sur cet aspect énergétique dans le cadre de textiles intelligents, les deux projets financés pour partie par Bpifrance apparaissent donc beaucoup plus complémentaires que concurrents. On retrouve d’ailleurs dans la liste des partenaires de Sunpartner Technologies le fabricant de fibres polymères, fils et tissus élastiques Payen.  Invisible (c’est le point fort de la technologie Wysips), la technologie de Sunpartner permettra au textile, tissage ou maille, de conserver ses propriétés de texture et de couleur, de souplesse et de résistance, tout en le rendant autonome en énergie ou capable d’alimenter en électricité des dispositifs embarqués sur la personne. Dans le détail, Soltex réunit, outre Sunpartner et Payen, Qualiflow Therm, spécialiste des équipements de fabrication pour l’industrie microélectronique et photovoltaïque, Texinov, fabricant de textiles techniques tricotés, Raidlight Vertical, référence du trail-running, et le CEA-Liten, laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux du CEA.   Selon l’agenda que se sont fixé les partenaires de Soltex, de premiers échantillons de textiles photovoltaïques fonctionnels devraient être présentés en 2016, et 2019 devrait voir l’arrivée des premiers prototypes d’équipements réalisés avec un textile photovoltaïque réalisé de façon industrielle. Les produits envisagés à ce stade sont soit un équipement de loisir outdoor (du type sac à dos), soit un store solaire motorisé, soit des filets de protection pour serre agricole.   Intégrer l'électronique dans les fibres textiles   Dans le domaine du vêtement intelligent, il faudra aussi compter sur une autre jeune société française. Créée en 2013 par essaimage du CEA-Leti, Primo1D doit industrialiser une technologie de micropackaging silicium baptisée E-Thread qui permet d’intégrer de l’électronique dans les fibres textiles. Cette technologie promet des applications dans le domaine de la traçabilité par puce RFID pour la blanchisserie industrielle, la location de linge ou encore la distribution textile. Mais elle permet également l’insertion de LED dans les fils pour la décoration haut de gamme (voir photo ci-dessus). Dans les semaines qui viennent, L’Embarqué consacrera un portrait de start-up à Primo1D.