"Les opérateurs TV ne veulent plus être pieds et poings liés à un éditeur de middleware"

Cofondateur et directeur général de l'éditeur de middleware pour décodeurs TV Wyplay, Dominique Feral explique à L'Embarqué le cheminement qui a poussé sa société à placer l'intégralité du logiciel Wyplay dans le domaine de l'open source. Une initiative qui a déjà séduit le groupe Canal+ ! ...   Avec la communauté « Frog by Wyplay », Wyplay a lancé il y a quelques mois une initiative open source dans le domaine du middleware pour décodeurs TV évolués. Avez-vous perçu une demande du marché en ce sens ? DOMINIQUE FERAL Je tiens d’abord à rappeler que Wyplay s’adresse essentiellement aux opérateurs télécoms bien établis qui amortissent les équipements de leurs abonnés sur des périodes comprises entre trois et cinq ans. Dès lors, il est possible de bâtir avec eux des relations à long terme, ce qui n’est guère envisageable avec des fabricants de produits d’électronique grand public dont les produits ont une durée de vie de douze à dix-huit mois. Ces opérateurs maîtrisent bien leur écosystème et sont en mesure d’exprimer clairement ce qu’ils veulent. Si, dès 2009, nous avons pu séduire la société SFR pour sa box Evolution, c’est parce qu’elle ne souhaitait plus être pieds et poings liés à une seule et même entreprise, en l’occurrence Netgem, qui leur fournissait le matériel, le logiciel et même certains équipements de tête de réseau… SFR a ainsi pu sélectionner Wyplay pour le logiciel, STMicroelectronics pour le processeur, Cisco et Sagemcom pour les décodeurs et Nagra pour le contrôle d’accès. Chez Canal+, avec qui nous travaillons depuis 2012, le cheminement a été un peu différent. Après avoir développé en interne, via Canal+ Technologies, le middleware et le système d’accès conditionnel de ses décodeurs, Canal+ s’est dessaisi de ces activités au profit, respectivement, de NDS et de Kudelski/Nagra. L’opérateur s’est ainsi débarrassé de tout problème de gestion de feuille de route, mais le middleware, vu de Canal+, est devenu une boîte noire. Avec des conséquences évidentes en termes d’évolutivité et de coût. Chaque évolution demandée par l’opérateur prenait entre neuf et douze mois et pouvait être facturée jusqu’à un million d’euros… C’est la raison pour laquelle, dès 2012, Canal+ s’est mis en quête de solutions alternatives et s’est tourné vers des approches ouvertes où il est possible de modifier tous les composants logiciels du middleware. Canal+ est le premier opérateur qui a choisi notre solution open source « Frog by Wyplay ».   A quel moment la société Wyplay s’est-elle résolument tournée vers l’open source ? DOMINIQUE FERAL Notre middleware a été conçu dès le départ sur un noyau Linux et selon une architecture modulaire offrant les caractéristiques traditionnelles d’un media center auxquelles s’ajoutent des fonctions optionnelles : décodage TV, magnétoscope numérique, connectivité réseau DLNA, services OTT, affichage multiroom et multi-écran, navigateur open source WebKit, etc. Notre force a toujours résidé dans notre capacité à agréger des nombreux blocs logiciels divers et variés et à les proposer sous la forme d’une solution clé en main. Ces dernières années, nous avons fait évoluer notre offre pour y intégrer de plus en plus de modules open source. Si bien qu’aujourd’hui 80% du middleware Wyplay est open source. En conséquence, nous avons annoncé lors du salon IBC en septembre 2013 qu’à travers la communauté Frog, l’intégralité du code serait à terme accessible en open source. L’année dernière, nous avons essentiellement fait un travail de documentation pour que les modules soient utilisables par des tierces parties et avons procédé à une simplification des API. Début janvier, sur le CES 2014 nous avons annoncé la disponibilité de la version Frog 1.0 pour l’ensemble de la communauté Frog by Wyplay. Tout au long de l’année, il y aura de nouvelles versions, l’objectif étant qu’à la fin 2014, l’intégralité du code Wyplay soit disponible en open source.   Il existe de nombreuses déclinaisons du terme open source. Quelle est la vôtre ? DOMINIQUE FERAL Nous proposons en fait notre propre licence open source. Tous les membres de la communauté Frog, quels qu’ils soient, ont accès gratuitement au code source pour tester, prototyper, développer ou effectuer des démonstrations. Les concepteurs de décodeurs ou les opérateurs proposant des box sous leurs propres marques devront toutefois s’acquitter d’une licence par unité vendue, sachant que le coût des redevances est rapidement dégressif selon le nombre de produits commercialisés. La communauté est ouverte à tous, dès lors que l’entité souhaitant rallier le mouvement est une entreprise. Accessible au sein d’un référentiel, le code source est évidemment modifiable, ce qui est le principe de base de l’open source. S’il est recommandé de remettre les modifications dans la communauté Frog, ce n’est en rien une obligation. Tout dépend de la valeur de cette modification. Si elle constitue un élément compétitif pour une société, il est compréhensible que celle-ci veuille en garder l’exclusivité…     L'écosystème Frog by Wyplay   Les intégrateurs systèmes membres de la communauté Frog ne forment-ils pas une concurrence potentielle pour Wyplay ?  DOMINIQUE FERAL La communauté compte aujourd’hui une quarantaine de membres. Parmi ceux-ci, nous trouvons les principaux fournisseurs de circuits pour décodeurs et box multimédias, une quinzaine de fabricants de décodeurs et des partenaires, éditeurs de logiciels ou fabricants de matériels, qui peuvent proposer leurs solutions complémentaires de celles de Wyplay sur la « place de marché » Frog. La communauté compte également un certain nombre d’intégrateurs systèmes comme Eurogiciel, L&T Technology Services, MathEmbedded, NeST Software, S3 Group ou Tata Elxsi. Pour mémoire, Wyplay a deux métiers : la fourniture d’IP logicielles et la fourniture de services comme le développement spécifique de fonctions, le portage sur des architectures matérielles ou l’intégration système. Lorsque nous traitons avec un opérateur de taille importante, c’est une cinquantaine de personnes qui se consacrent exclusivement au projet et notre capacité ne nous permet pas de traiter plus d’un gros opérateur par an. Quelque part, ce métier d’intégrateur bride la capacité d’évolution de notre société. Notre velléité, c’est en fait de vendre de l’IP et de disposer d’un réseau d’intégrateurs qui commercialisent cette IP d’une manière ou d’une autre. Les intégrateurs systèmes font donc partie de notre écosystème. Sans restriction.   Quelle est la clé du succès de la communauté Frog ? DOMINIQUE FERAL Il faut, bien entendu, que le maximum d’entreprises rejoigne la communauté. Mais la clé du succès réside dans les déploiements. Et il faut que ceux-ci soient significatifs. Dans le cadre de notre collaboration avec Canal+, qui est un contributeur dans la communauté Frog, ce sont six millions de décodeurs qui vont être mis à jour avec une technologie développée sur la base de Frog by Wyplay. C’est une première étape significative pour Wyplay car Canal+ est une société reconnue mondialement. Notre’objectif est que Frog devienne un standard et que le logiciel s’enrichisse. Nous nous y employons. Pour donner un coup d’accélérateur à Frog au niveau international, nous avons créé une filiale au Brésil en septembre 2013  - nous sommes déjà présents en Inde depuis un an et demi - et nous allons nous implanter en Asie du Sud-Est dans le courant de ce trimestre. Un tiers de notre effectif, aujourd’hui de 180 personnes, travaille désormais sur la feuille de route Frog. Enfin, pour soutenir tous ces efforts, nous comptons procéder à une levée de fonds au début du mois de mars ! Nous n’avions pas procédé à un nouveau tour de table depuis 2010.  

Propos recueillis par Pierrick Arlot