"Android 4.4 marque le vrai premier pas de Google dans l'Internet des objets"

KitKat, la version 4.4 d'Android, recèle des évolutions très importantes pour les développeurs, et marque, selon Arnaud Dupuis, cofondateur et directeur des opérations chez Genymobile, la volonté très nette de Google d'aller franchement vers le marché des systèmes embarqués et vers l'eldorado de l'Internet des objets. ...

Android 4.4, connu aussi sous le nom de code de KitKat, est la dernière version en date de la plate-forme logicielle de Google. Au-delà du déploiement de cet environnement sur les tablettes Nexus 7 et 10 et sur le smartphone Nexus 4, abondamment commenté, quelles sont pour vous les évolutions profondes de KitKat par rapport à ses prédécesseurs ?

ARNAUD DUPUIS Pour comprendre le mouvement en cours au sein de l’environnement Android, il faut préciser d’emblée une donnée particulièrement importante. Android peut désormais fonctionner avec 512 Mo de mémoire, contre le double auparavant avec la version JellyBean ou l’éphémère Honeycomb. C’est donc un effort colossal d’optimisation qui a été réalisé par les équipes de développement de Google. D’ailleurs, entre parenthèses, on comprend très bien dans ce contexte pourquoi Google a récemment racheté la société rennaise Flexicore, un spécialiste de l’optimisation d’Android (*). Au fond, alors qu’Android était jusqu’alors considéré comme un système d’exploitation gourmand en ressources, toute la stratégie des équipes Android consiste désormais à limiter l’impact de l’environnement sur la consommation en ressources de calcul et donc sur l’autonomie de la batterie des équipements. Dans un texte récent destiné aux développeurs, Google explique notamment que la nouvelle version d’Android améliore considérablement la consommation électrique des dispositifs qui en sont équipés. L’Américain y détaille nombre d’améliorations techniques allant dans ce sens, dont la “démocratisation” de l’utilisation de C++ grâce à l’extension de l’utilisation du framework Renderscript, populaire chez les développeurs Android. C’est une évolution très importante car cette ouverture de RenderScript au-delà du cœur Android ouvre la voie à la programmation distribuée sur plusieurs cœurs de processeurs (CPU, GPU, DSP…) avec optimisation de la parallélisation des calculs pour des performances très élevées, supérieures à ce que l’on obtient avec du code Java. Evidemment, toutes les applications de traitement d’images, de reconnaissance de formes, d’intelligence artificielle qui manipulent des matrices ou mettent en œuvre des algorithmes de calcul complexes, sont directement impactées par cette évolution.   Quelles sont les autres caractéristiques de KitKat qui vous paraissent aller dans le sens d’une utilisation d’Android bien au-delà des smartphones haut de gamme ? ARNAUD DUPUIS Incontestablement, tout ce qui tourne autour de Bluetooth va dans cette direction. D’abord, le système d’exploitation embarque Blue Droid, une version optimisée de la pile Bluetooth. Ensuite, de nouveaux profils Bluetooth apparaissent dans KitKat, dont le Bluetooth HOGP (HID Over GATT Profile) qui définit comment un objet communiquant sans fil via le protocole Bluetooth Low Energy (BLE) supporte le profil pour interfaces homme/machine déportées HID (Human Interface Device Profile). Ce qui autorise la mise en place de liaisons Bluetooth à très faible latence en utilisant très peu d’énergie. Dans le même état d’esprit, Android 4.4 supporte désormais l’AVCPR (Advanced Audio Distribution Profile) qui définit comment un flux audio peut être délivré entre deux appareils dotés d’un lien Bluetooth (entre un casque avec des oreillettes et une radio par exemple).   Avec toutes ces évolutions, peut-on dire qu’Android 4.4 est le point d’ancrage de Google qui va lui permettre d’attaquer le marché des objets connectés ? ARNAUD DUPUIS C’est très clair. Nombre d’annonces de Google vont dans ce sens et traduisent la volonté du géant américain de se positionner massivement sur ce marché. On peut rapprocher ces évolutions techniques avec d’autres informations liées par exemple aux lunettes Google Glasses et à la montre connectée Nexus Gem (voir photo ci-dessous). Ainsi, les Glass Explorers, qui sont les personnes mandatées par Google pour tester ses lunettes connectées, ont pointé la très faible durée d’utilisation de cet objet (30 minutes en pleine activité, contre 4 heures pour les offres concurrentes). D’autre part, Google a annoncé récemment que sa montre serait dotée d’une autonomie d’une semaine (donnée à rapprocher de la durée d’utilisation des offres concurrentes qui varie de 8 heures à 3 à 4 jours en moyenne). Tout ceci traduit l’intérêt croissant de Google pour l’Internet des objets. Sans oublier aussi le marché des pays émergents. Car au-delà de son intérêt pour les technologies M2M, la disponibilité de smartphones low cost lui permettrait d’écouler ses services dans les pays à faible pouvoir d’achat qui sont devenus une cible de choix en matière de mobilité. Or les projets liés à l’Internet des objets et à l’équipement des pays émergents ont pour dénominateur commun l’optimisation d’Android dont nous parlions plus tôt. On imagine ainsi aisément les bénéfices de leur mutualisation pour Google. De plus, avec sa politique open source (Android est distribué gratuitement), Google cherche à susciter le développement de nouveaux usages qui rendront bientôt Android incontournable. Il faut dire que les perspectives sont impressionnantes avec des projections pour 2020 de quelque 50 millions d’objets connectés selon les chiffres avancés par Ericsson et Cisco, voire 80 millions d’après une étude de l’Idate, un think tank spécialisé dans l’économie numérique. Avec de telles perspectives et des niveaux d’investissements élevés, il ne fait aucun doute aujourd’hui que Google se lance dans la course à l’armement. Car l’Internet des objets ne se résume pas à quelques grille-pain, pèse-personnes ou mobiliers urbains connectés déjà apparus. En réalité, nous n’avons encore rien vu. Avec une locomotive comme Google, les perspectives de développement sont immenses, et Internet va désormais s’inviter dans les objets qui nous paraissent aujourd’hui improbables : cintres, vêtements, chaussures… Tout reste à inventer !   Propos recueillis par Francois Gauthier   (*) Créée en 2008, la société rennaise Flexicore a été rachetée en toute discrétion par Google pour environ 17 millions d’euros, l’opération ayant été rendue public en octobre dernier. Flexicore propose notamment des solutions pour accélérer les performances des smartphones sous Android avec son outil DroidBooster.