"Un Wi-Fi pour le M2M ? Complètement inutile… ZigBee existe déjà !"

Pour Cees Links, co-inventeur de la technologie Wi-Fi, fondateur et CEO de la firme néerlandaise GreenPeak Technologies, ZigBee et le Wi-Fi, tel qu’il existe aujourd’hui, seront les deux seules technologies de réseaux radio qui subsisteront à terme dans les environnements résidentiels. Quant aux travaux qui visent à adapter Wi-Fi aux exigences des communications M2M, Cees Links les juge comme une pure et simple perte de temps ! ...

GreenPeak Technologies est une société de semiconducteurs fabless exclusivement focalisée sur le marché ZigBee. Comment voyez-vous l’avenir de cette technologie pour réseaux radio maillés  basse consommation en environnement résidentiel ? CEES LINKS Pour bien fixer les idées, je vais prendre la technologie Wi-Fi comme point de comparaison, car, il faut s’en souvenir, ZigBee a été développé au départ comme une sorte de Wi-Fi à basse consommation. Pour la connexion de petits dispositifs à Internet, le Wi-Fi était considéré – et il l’est toujours – comme trop gourmand en énergie, trop encombrant et trop cher. En une quinzaine d’années, le Wi-Fi s’est considérablement démocratisé. On peut grosso modo estimer qu’il existe aujourd’hui, en moyenne, dix circuits intégrés Wi-Fi disséminés sur un lieu d’habitation. Pour ZigBee, je prends le pari que, d’ici une décennie, il existera dans chaque foyer une centaine de dispositifs compatibles, des thermostats aux systèmes d’éclairage en passant par les serrures, les appareils électroménagers, les capteurs de présence, les télécommandes, etc. En tablant sur approximativement 600 millions de foyers connectés à Internet, ce sont donc 60 milliards de circuits ZigBee qui seront à l’œuvre à l’horizon 2020. A terme, il n’y aura que deux technologies pour réseaux radio qui cohabiteront dans la maison : Wi-Fi et ZigBee. Pour l’heure, GreenPeak commercialise environ 500 000 circuits ZigBee par semaine. L’année prochaine, nous pensons que nous en vendrons déjà plusieurs millions dans le même laps de temps…   Comment voyez-vous la technologie ZigBee se déployer dans la maison ? CEES LINKS Je la vois se déployer en trois phases. La première, celle que nous connaissons actuellement, est liée au remplacement des télécommandes infrarouges traditionnelles des décodeurs TV et des passerelles résidentielles par des télécommandes RF ZigBee compatibles RF4CE. C’est le choix fait pas tous les équipementiers majeurs aux Etats-Unis, au Japon, en Inde, etc. Le marché est essentiellement américain pour le moment, mais l’Europe s’attache à combler son retard. La deuxième phase démarre tout juste et devrait s’étendre jusqu’en 2018. Elle est liée à la généralisation des services de gestion de la consommation d’énergie, de confort et de surveillance à distance des habitations. Les fournisseurs de services Internet y voient là une formidable opportunité d’offrir à leurs clients de nouveaux services attractifs et évolutifs, sources de nouveaux revenus. C’est aussi un moyen pour eux de fidéliser leurs abonnés. Nous travaillons dans ce sens avec des sociétés comme Legrand, Schneider ou Bosch. Après 2015, la troisième et dernière phase consistera à intégrer tous ces capteurs et actionneurs ZigBee dans un environnement unique multi-applicatif, chacun d’entre eux pouvant jouer un rôle au sein de plusieurs applications.   Dans le domaine des réseaux de capteurs sans fil à usage résidentiel, ZigBee est loin d’être seul en piste puisque les technologies Z-Wave, EnOcean ou d’autres ont aussi des velléités sur ce marché… CEES LINKS Je considère Z-Wave et EnOcean, même si des alliances industrielles se sont constituées autour de ces technologies, comme des approches propriétaires. Dans les deux cas, une et une seule entreprise propose des circuits adaptés. Ce n’est pas le cas de ZigBee qui est le seul standard mondial « ouvert » pour le marché du smart home et qui peut se prévaloir d’une offre de circuits issus de fournisseurs différents, et notamment de poids lourds comme Texas Instruments ou Freescale. A cet égard, je voudrais rappeler qu’avant l’émergence du Wi-Fi, il existait une technologie baptisée HomeRF, développée par Proxim et poussée au départ par Intel et Cisco. Cette technologie n’était pas ouverte et l’arrivée du standard Wi-Fi l’a rapidement précipitée dans les oubliettes de l’histoire… A plus ou moins longue échéance, cette situation va se répéter… en faveur de ZigBee cette fois-ci.   Vous évoquez TI et Freescale. Comment une société de moindre taille comme GreenPeak peut-elle se différencier de ces mastodontes ? CEES LINKS Nous sommes des ingénieurs RF et certains d’entre nous ont participé à l’élaboration du Wi-Fi. Notre offre se caractérise donc par sa très faible consommation, caractéristique qui n’entrave en rien ses performances en portée. Nous avons prouvé par exemple qu’une télécommande ZigBee mettant en œuvre l’un de nos circuits pouvait fonctionner pendant dix ans avec une simple pile-bouton et ce à raison de 500 appuis par jour sur l’une des touches. Le tout pour un prix de l’ordre de 2,5 dollars. Nous avons également développé un circuit ZigBee Green Power qui peut s’alimenter sans pile via un mécanisme de récupération d’énergie ambiante. Un simple clic sur un interrupteur produit suffisamment d’énergie pour émettre un paquet de données de contrôle vers une ampoule.   Au travers du comité IEEE 802.11 ah, l’IEEE planche sur une version à basse consommation du Wi-Fi, censée satisfaire à terme les besoins des réseaux de capteurs sans fil et, plus globalement, des communications de machine à machine. Qu’en pensez-vous ? CEES LINKS C’est une perte complète de temps. Avec les travaux sur le 802.11ah, l’industrie (et surtout Qualcomm qui a complètement raté la vague ZigBee) veut réinventer la roue. Ce qu’il est envisagé de réaliser avec ce futur Wi-Fi à basse consommation, la technologie ZigBee le fait déjà et très bien ! De plus, ce Wi-Fi-là n’aura strictement rien à voir avec le Wi-Fi tel qu’il existe aujourd’hui. Avec les évolutions qu’a connues jusqu’ici le Wi-Fi, la compatibilité est restée la règle d’or avec une exploitation systématique des bandes 2,4-2,5 GHz et 5 GHz. Or, le 802.11ah a vocation à être déployé dans des bandes de fréquence situées sous le gigahertz, avec des couches PHY et MAC qui n’ont rien à voir avec celles que nous connaissons avec le Wi-Fi… Et c’est sans compter les problèmes de dimensionnement des antennes aux fréquences inférieures au gigahertz. N’oublions pas non plus que lorsque le Wi-Fi à basse consommation sera publié, quelque part aux alentours de 2016, un milliard de circuits ZigBee seront déjà sur le marché !
Propos recueillis par Pierrick Arlot