“ Étendre le périmètre d'analyse du Big Data à la périphérie des réseaux industriels”

[TRIBUNE de Philippe Reiber, ANALOG DEVICES] Le succès des composants conformes à la norme 10Base-T1L permet aux fabricants d'équipements industriels d'entreprendre le développement de nouveaux produits destinés à l'Ethernet industriel. Bénéficiant de l'appui d’un consortium d'entreprises qui la soutiennent, cette norme réunit de solides arguments pour supplanter les interfaces 4-20 mA et HART, et accélérer l'adoption du concept Industrie 4.0, comme l’explique ici en détail Philippe Reiber, directeur général d'Analog Devices pour l'Europe du Sud, en charge des comptes stratégiques Aéronautique et Espace pour la région EMEA....

Ratifiée en novembre 2019, la norme IEEE 802.3cg met à la disposition des exploitants d'usines une nouvelle approche radicalement différente pour connecter les appareils en périphérie du réseau, les libérant ainsi des restrictions propres aux infrastructures historiquement bâties sur le protocole de communication HART et les boucles de courant 4-20 mA. La norme 802.3cg, également désignée 10Base-T1L, est l'une des couches physiques du réseau Ethernet industriel. Elle permet de supprimer les barrières qui séparent les dispositifs opérationnels élémentaires chargés d'assurer un service de première ligne dans les usines ou les installations industrielles, comme les capteurs, vannes, actuateurs et autres commandes, et les données de l'entreprise, véritable vivier de bits et d'octets qui constitue le poumon de la nouvelle usine connectée, la “smart factory”.

La norme de connectivité 10Base-T1L réunit ainsi les avantages nécessaires pour jouer un rôle de catalyseur dans le processus de transformation vers une exploitation industrielle axée sur les données et l'analytique, une tendance connue sous le nom d'Industrie 4.0. Pour autant, les ingénieurs industriels doivent-ils envisager de remplacer dès à présent leurs systèmes traditionnels 4-20 mA ou HART par une infrastructure 10Base-T1L, en dépit de la relative jeunesse de la norme 802.3cg ?

L'analyse des données améliore productivité et rendement

La mise en œuvre de l'industrie 4.0 est en train de gagner les différentes activités des usines modernes. Au cœur de ce concept se trouve la volonté de tirer pleinement parti des masses de données disponibles, le Big Data. De nouveaux logiciels analytiques ont commencé à transformer la façon dont les industriels exploitent et assurent la maintenance de leurs équipements et installations industrielles. Dans de nombreux cas, les données produites par ces outils analytiques sont d'autant plus pertinentes qu'elles révèlent la présence de schémas communs au sein d'ensembles de données apparemment hétérogènes. Plus les données collectées avec fiabilité à partir des appareils disséminés dans une usine sont nombreuses et leurs catégories variées, plus les logiciels disposeront de possibilités pour alimenter des fonctions avancées, telles que la maintenance conditionnelle (CbM - Condition-based Monitoring) et la maintenance prédictive (PdM - Predictive Maintenance).

Or, la faible bande passante qui caractérise les interfaces 4-20 mA et HART, ainsi que la possibilité limitée de les intégrer à l'infrastructure informatique des entreprises, ont sapé les efforts des ingénieurs qui cherchaient à appliquer les méthodes analytiques à ces éléments historiques. En outre, les technologies 4-20 mA et HART limitent la quantité de courant pouvant être appliqué aux équipements connectés (endpoints), ainsi que les possibilités de télésurveillance.

Ainsi, tout l'intérêt de convertir au standard 10Base-T1L des équipements qui utilisent actuellement les technologies 4-20 mA ou HART réside dans l'accès aux données, ainsi que dans les gains de productivité et d'efficacité qui en découlent et peuvent être mis à profit lorsque ces données deviennent exploitables. De manière générale, les usines connectées et intelligentes sont moins sujettes aux indisponibilités opérationnelles et moins gourmandes en énergie, autorisent une meilleure utilisation des équipements et des actifs disponibles, et contribuent à un déploiement plus efficace des équipes. La norme de connectivité 10Base-T1L promet d'appliquer ces avantages aux endroits les plus reculés des usines et installations industrielles - là où les capteurs et autres équipements connectés fonctionnent en dehors du réseau de l'entreprise.

Norme 10Base-T1L : des débits et une puissance de sortie accrus

Les arguments favorables à l'installation d'équipements conformes à la norme 10Base-T1L s'appuient sur l'ensemble des capacités couvertes par la norme 802.3cg. Une connexion 10Base-T1L présente les avantages suivants :

- un débit maximum de 10 Mbit/s sur une longueur de câble pouvant atteindre 1 km

- une puissance maximale de 500 mW délivrable aux équipements associés à des applications à sécurité intrinsèque en zone 0, ce qui permet d'utiliser un éventail d'équipements plus sophistiqués nettement plus large qu'avec un système 4-20 mA ou HART. Cette solution peut également appliquer une puissance maximale de 60 W à des applications à sécurité non intrinsèque, en fonction du câblage utilisé.

- la possibilité de réutiliser le câblage à paire torsadée unique déjà installé

- de nombreuses options d'administration des appareils, parmi lesquelles l'envoi de données de diagnostic par l'appareil connecté et sa mise à jour logicielle

- une adresse IP pour chaque nœud, étendant la capacité de l'Internet des objets à la périphérie des réseaux industriels (une adresse IP qui permet non seulement de surveiller un nœud, mais également de le piloter à distance)

- l'intégration à l'infrastructure réseau de l'entreprise.

Sur le plan matériel, la mise en œuvre d'équipements 10Base-T1L ne soulève en principe aucune difficulté, dans la mesure où le support physique est un câble à paire torsadée unique. Il est même possible d'emprunter le câblage déjà utilisé pour acheminer les communications sur la boucle de courant 4-20 mA ou l'interface HART. En outre, l'utilisation de la norme 802.3cg est compatible avec les environnements dangereux (antidéflagrants).

Les premiers déploiements conformes à la norme 10Base-T1L devraient concerner des équipements hybrides associant une interface actuelle de type 4-20 mA et la nouvelle couche physique spécifique à l'Ethernet industriel.

Réussir la mise en œuvre de la norme 10Base-T1L

Deux facteurs déterminent essentiellement le succès d'un projet 10Base-T1L : la bonne utilisation des données et la sécurité des réseaux. Une fois engagés dans les méandres du déploiement opérationnel d'une infrastructure 10Base-T1L, les ingénieurs peuvent aisément oublier le motif de sa mise en œuvre pour se consacrer au fonctionnement des équipements connectés (capteurs, par exemple) et aux flux de données envoyés aux systèmes chargés d'analyser les données.

Il convient ici de souligner que le principal risque pesant sur le déploiement d'un projet 10Base-T1L ne se situe pas au niveau des équipements connectés (endpoints) proprement dits ni au niveau de l'infrastructure physique. Dans la plupart des cas, le problème se trouve en aval, lorsque les dispositions prises ne permettent pas de traiter et d'utiliser les données issues d'équipements tout juste connectés.

En résumé, les ingénieurs industriels qui se lancent dans un projet 10Base-T1L doivent se poser les questions suivantes :

- Quel type d'information vais-je extraire des données collectées par les capteurs et les autres équipements connectés ?

- Comment les données seront-elles intégrées aux systèmes de contrôle de mon entreprise ?

- Le format des données provenant des équipements connectés est-il compatible, ou faut-il le convertir ?

- Comment les informations pertinentes fournies par l'analyse des données permettront-elles d'améliorer les processus ou les systèmes ?

La seconde problématique cruciale à laquelle l'ingénieur doit faire face concerne la sécurité. La nature des menaces varie de façon considérable dès lors que les équipements connectés le sont via un réseau 10Base-T1L. Jusqu'à présent, c'est-à-dire tant que les équipements connectés le sont sur une boucle de courant 4-20 mA, l'absence de connectivité complexe limite les risques d'attaque. En raison du haut niveau de connectivité offert par la norme 802.3cg - avec notamment une adresse IP par nœud -, chaque équipement connecté est vulnérable aux attaques lancées à distance par l'intermédiaire du réseau de l'entreprise.

Lorsqu'une usine déploie la norme 10Base-T1L, le pare-feu physique intégré - dont la mission est d'isoler du réseau les équipements connectés par une boucle de courant 4-20 mA ou le protocole HART - disparaît purement et simplement. Autrement dit, chaque nœud et l'infrastructure réseau proprement dite doivent être sécurisés grâce à la mise en œuvre des technologies d’authentification sécurisée des appareils au moyen d'identifiants chiffrés, de chiffrement des échanges de données et de pare-feu pour empêcher des entités extérieures d'accéder à des appareils sécurisés.